Le manoir maudit

Fictional writing relating an adventure played during a one shot game of the "Corrompus".

August 2025

Tallion se trouvait dans l’entrée d’un vieux manoir. La lumière orangée du coucher de soleil éclairait légèrement la pièce et révélait des meubles saccagés, des traces de griffures sur le sol et les murs, et un cadavre au centre du hall, les doigts toujours serrés autour d’une hallebarde. 

Quelques instants plus tôt, les trois corrompus se trouvaient encore au sein d’une grande foire ambulante, cherchant à se divertir et à découvrir les tours, acrobaties ou attractions proposées par la troupe. Un crieur les avait attirés en leur promettant « La frayeur de leur vie ». Ils avaient pénétré dans la tente et s’étaient retrouvés dans ce manoir. Tallion observa par les fenêtres et n’aperçut que des champs de blé à perte de vue. Pas de foire. Son sang bouillonnait, réagissant à une présence magique dans les environs, les fenêtres devaient être des illusions.

Ses deux compagnons retournèrent leur attention vers l’intérieur du manoir. Léonin passa sa grande hache en bandoulière, et redressa légèrement sa cotte de maille pour s’assurer qu’il avait bien une complète liberté de mouvements. Il ressemblait à un de ces pillards du nord avec sa courte barbe, les côtés du crâne rasé, et sa longue tresse rousse. Et avec ses yeux rouge-sang, même le plus courageux des Sans-Marques (les humains normaux, sans marque de mutation) y repensait à deux fois avant de lui adresser la parole. Il récupéra la hallebarde des mains du cadavre et l’examina.

Tallion s’accroupit au-dessus du cadavre.

Un long rugissement mit soudainement fin à l’analyse des corrompus. Les murs de la pièce où ils se trouvaient tremblèrent, et les guerriers échangèrent un regard inquiet. Le bruit provenait de l’étage du manoir, et il fut vite remplacé par le son d’une énorme masse dévalant des escaliers dans leur direction. 

Les corrompus fuirent à travers une série de couloirs, tournant encore et toujours, se retrouvant face à des pièces qui géométriquement ne devraient pas pouvoir être là. Ce manoir se jouait d’eux. Les bruits de course de la bête se faisaient toujours entendre derrière eux, se rapprochant, ses griffes grinçant contre le bois du parquet à chacun de ses pas. Ils finirent par arriver dans une sorte de salle à manger, saccagée, elle aussi, un escalier menait à l’étage, et sous cet escalier se trouvait une sorte de petit débarras, ils se jetèrent à l’intérieur et refermèrent la porte, puis ils retinrent leur respiration.

Quelques secondes plus tard, ils entendirent le monstre débouler dans la pièce qu’ils venaient de quitter et grimper les escaliers sans s’arrêter. Tallion poussa un soupir de soulagement. Cela leur laissait plus de temps pour comprendre ce qu’ils allaient devoir affronter, et s’y préparer.

Léonin sortit le premier et fit signe aux autres de le suivre, ils continuèrent d’explorer les lieux. Comme les premières pièces qu’ils avaient visité, tout était sens dessus dessous, détruit ou arraché. Les peintures étaient éventrées, les fleurs fanées, les rideaux moisis. Une lueur bleue attira l’attention de Jean qui les entraîna dans un petit salon. Au centre, une silhouette fantomatique flottait quelques centimètres au-dessus du corps décapité qui devait lui appartenir de son vivant.

Le fantôme sembla entrer en choc en se rappelant sa mort, les corrompus le questionnèrent un peu plus, mais son décès semblait avoir été particulièrement traumatisant. Pour essayer d’en apprendre plus sur la bête, ils passèrent plusieurs minutes autour du fantôme, chacun racontant des histoires de leur propre vie, des combats, des blessures, des succès… Essayant de capter l’attention de l’ombre et de lui faire oublier le cadavre sans tête à ses pieds. Après un long moment, le fantôme, prénommé Narcesse, parvint à en dire plus.

Les corrompus continuèrent d’explorer les lieux, Narcesse avait mentionné la fille de Méodore. Il s’agissait de Cérangère, l’héritière du royaume de Cronbourt. Ses deux parents étaient morts récemment, ils avaient fait l’impensable et avaient protégé leur fille, une corrompue. Alors que dans la plupart des royaumes, les corrompus étaient traités comme des parias, des moins que rien, à Cronbourt, ils avaient plus de droits, ils étaient tolérés. Mais après la mort de Méodore et de sa femme, et en l’absence de leur fille, c’est Taxime, le frère du roi, qui dirigeait le royaume. Et d’une main de fer, contrairement à son frère, Taxime ne portait pas les corrompus dans son cœur, il ne devait pas voir d’un bon œil le retour de Cérangère qui avait le soutien du peuple.

Alors qu’il pénétrait dans une cuisine, le sang de Tallion se glaça de nouveau quand un hurlement bestial résonna dans le manoir, juste derrière eux, très proche. Léonin se jeta dans un monte-charge, Jean se réfugia dans un placard et Tallion, tétanisé un instant de trop, eu juste le temps de se jeter sous un plan de travail, se cachant du mieux qu’il le pouvait. Les pas lourds de la bête s’approchèrent. Les griffes raclant le sol de la cuisine. Tallion vit les énormes pattes à quelques centimètres de lui, elles avaient l’air humaines. Des mains d’humains, beaucoup plus grandes, et avec des ongles s’étant durcis et transformés en griffe. L’esprit de Tallion luttait contre ses instincts qui essayaient de lui faire pousser un cri et il resta assis dans sa cachette longtemps après le départ de la créature.

Il saisit la main que Jean lui tendait pour se redresser et ils reprirent l’exploration du manoir. Les corrompus parlaient peu, ce jeu du chat et de la souris les fatiguait, le monstre avec un impact très particulier sur leur psyché. Une terreur comme ils en avaient rarement rencontré. Il leur faudrait mettre fin à cette chasse et affronter la bête bientôt, tant qu’ils pouvaient choisir la situation de combat, mais il leur manquait encore beaucoup d’informations pour comprendre comment triompher dans cet affrontement. Une autre lueur attira leur attention et ils découvrirent dans une sorte de chapelle une autre dépouille, et un autre fantôme. Alors qu’ils devraient se trouver au centre du manoir, la chapelle possédait tout de même des vitraux qui semblaient illuminés de l’extérieur. Un autel au fond de la pièce captivait l’attention du fantôme.

Les compagnons trouvèrent effectivement quelques grenades et potions qui avaient glissé sous un canapé non loin du corps de Narcesse. Tallion ajouta les explosifs à sa ceinture qui était déjà chargée d’un certain nombre d’artifices. Les deux autres se répartirent les potions utilisées pour purifier leur corps après l’utilisation de sortilèges puissants. Pendant qu’ils réfléchissaient à leur plan d’action, un bout d’une porte barricadée vola en éclats, l’énorme bras de la créature passant au travers, cherchant à attraper l’un d’entre eux. Comprenant qu’elle n’arrivait pas à forcer le reste de la porte, la créature cavala de nouveau dans l’autre direction, les corrompus réalisèrent qu’ils n’auraient pas le temps de rejoindre une des autres pièces pour trouver refuge, et que ce petit salon ne contenait aucun couvert. Ils décidèrent donc de passer par l’ouverture que la créature avait elle-même créé dans la porte, trop étroite pour elle, mais suffisamment grande pour eux.

Ils se retrouvèrent ainsi dans une sorte de crypte, une salle plutôt grande, avec quelques piliers de pierre, et un escalier montant à l’étage que la bête devait avoir emprunté à l’instant. Au centre de cette crypte, un fantôme pratiquait des mouvements de combat, enchaînant bottes, esquives et ripostes avec adresse. 

 - Vous venez affronter la bête ? demanda le fantôme, arrêtant son entraînement. J’ai failli l’avoir, il ne me manquait pas grand-chose !  - Vous êtes Martial ? lui répondit Jean. On a trouvé votre hallebarde à l’entrée, bien ensanglantée, vous avez dû bien vous défendre mon brave.  - Oui, c’est bien moi, Martial Fortepoigne, meilleur combattant du royaume si je peux me vanter ! On s’est fait surprendre et j’ai dû retenir la bête dans ce petit hall qui n’est pas vraiment adapté à mon style, sinon je n’en aurais fait qu’une bouchée !  - Quelques conseils à nous donner pour le combat qui s’annonce, Martial ? continua Tallion. On commence à fatiguer de courir, il est temps pour nous de régler le problème de la bête tant que nous sommes regroupé et cet endroit me semble aussi bon qu’un autre pour faire couler son sang.

Alors que le fantôme finissait sa phrase, un nouveau rugissement fit trembler les murs de cette crypte. La bête était revenue. Elle descendait lentement les escaliers, sentant que la chasse était enfin finie, les corrompus ne lui échapperaient plus. Tallion put l’observer plus attentivement, ses énormes griffes, sa gueule hérissée de dents et le sang de ses dernières victimes coulait encore le long de sa mâchoire. Deux yeux terrifiants, mais c’était un visage grossier, presque humain. Il y avait quelque chose de dérangeant dans l’aspect de ce monstre. Sur son front, une sorte de gemme, l’œil dont Narcesse avait parlé. Tallion se força à le lâcher du regard, malgré la distance qui le séparait de la bête, il sentait l’attirance du diamant et comprenait que s’il le fixait en plein combat, il serait paralysé.

Tallion fit apparaître une flamme dans sa main, afin d’illuminer davantage la crypte pour ses compagnons, et dégaina sa lame, un long cimeterre qui l’accompagnait depuis des années. Il échangea un regard avec Léonin, qui avait sorti sa grande hache, et avec Jean qui frappa son bouclier avec sa masse pour provoquer la bête. Puis il murmura une prière pour que son courage ne faiblisse pas.

Le temps était comme figé. Chacun sentait le sang circuler dans ses veines, la sueur commencer à suinter sous ses doigts, les palpitements de son cœur battre dans sa poitrine. Puis, le combat éclata. En un éclair de fourrure, la créature se jeta sur Léonin au centre de la pièce et d’un coup de griffe rapide, elle lui fit une longue estafilade sur l’épaule. Alors que le deuxième coup allait s’abattre sur le cou du corrompu, Jean s’interposa au dernier moment, poussant Léonin hors de portée de l’attaque, et bloquant de son bouclier les griffes de la bête. 

Essayant de la surprendre, il tenta un coup de masse par-dessous son bouclier sur le torse de l’abomination, mais celle-ci bloqua l’attaque de son avant-bras. Martial les avait prévenus.

Léonin se ressaisit et tenta un coup de hache vers l’épaule du monstre qui fit un pas de côté au dernier moment pour éviter cette attaque. 

Profitant du fait qu’elle s’était éloignée de ses compagnons, Tallion saisit de sa main enflammée une grenade assourdissante, allumant la mèche du même geste et la jeta aux oreilles de la bête. BAM, un bruit fracassant résonna dans la crypte, désorientant le monstre qui se redressa sur ses pattes arrière et mit ses mains à ses oreilles. Tallion s’élança et entailla la hanche de la créature d’un coup de cimeterre bien placé avant de faire un bond en arrière pour éviter une riposte potentielle. Jean réagit vite également et sa masse heurta violemment la jambe du monstre, non loin de l’endroit où Martial l’avait déjà blessée. 

Le diamant sur le front du monstre s’illumina légèrement, et des bruits de plaintes désespérées sortirent des murs alors que cinq ou six formes spectrales traversaient les parois de la crypte et glissèrent vers les corrompus de manière menaçante. 

Dans un hurlement de rage aussi bestial que celui de leur adversaire, Léonin redoubla d’énergie et fit tomber une pluie d’attaques sur le monstre, finissant par trouver une faille dans sa défense et la blessant à de multiples reprises, Jean l’accompagnait également, utilisant la fougue de son compagnon pour glisser lui aussi quelques coups contre la bête. 

Tallion, au contraire, s’élança contre les esprits qui s’approchaient de ses alliés, sa lame fendant leurs silhouettes éthérées et dispersant leurs essences pour les renvoyer d’où ils venaient. 

La situation semblait maîtrisée, les esprits étaient tenus à l’écart, la bête saignait abondamment et le moral du groupe était au plus haut quand le diamant s’illumina une fois de plus. Une nouvelle vague de fantômes sortit des murs, submergeant les corrompus sous leur nombre, et Léonin qui était face à la bête fut paralysé par l’aura de la gemme. D’un revers du bras, le monstre projeta Jean quelques mètres plus loin au cœur d’un groupe de fantôme, et se saisit du pétrifié Léonin pour planter profondément ses crocs dans l’épaule du sauvage guerrier. La douleur sortit Léonin de sa torpeur qui hurla et, d’un revers de sa hache, parvint à se dégager de l’emprise de la bête, mais sa blessure était grave, il ne tarderait pas à manquer de force. 

Dans le reste de la crypte, la situation empirait pour les deux autres corrompus, les tatouages de Tallion pulsèrent d’une sombre énergie alors qu’il faisait surgir un mur du sol, faisant éclater plusieurs esprits. Mais il ne parvint pas à esquiver tous leurs coups et fut touché par l’un d’entre eux. Le temps sembla ralentir pour Tallion, qui voyait les fantômes continuer de se déplacer, mais lui n’arrivait plus à réagir aussi vite. Sa célérité lui avait été sapée, il était désormais plus lent, plus lourd, tandis que de l’autre côté de la crypte, la bête, elle, redoublait de vitesse. Jean, encerclé de toutes parts, fut affligé du même mal alors qu’il se débattait au cœur de la horde d’esprits. 

Tallion saisit une autre grenade, fabriquée par ses soins, et la jeta tant bien que mal en direction de la bête qui se précipitait vers lui. La contraption explosa au sol entre eux, libérant un vortex anti-magique qui absorba la malédiction avant de disparaître soudainement. Tallion retrouva sa vitesse, la bête perdit la sienne, et le corrompu se jeta entre les pattes du monstre qui sautait sur lui, portant ainsi un coup profond avec son cimeterre tout le long du torse de la bête en glissant sur le sol. 

La grenade avait aussi libéré Jean de cette affliction, le guerrier fit tournoyer sa masse autour de lui, éclaircissant rapidement les rangs des esprits et rééquilibrant le combat. Léonin attrapa une fiole à sa ceinture et en avala le contenu rapidement, ses plaies se refermèrent partiellement, lui redonnant également un second souffle. Jean se lança vers la bête, le bouclier en avant, et la percuta de plein fouet, la repoussant de quelques mètres vers Léonin, qui l’atteignit à deux reprises à la tête avec sa hache. La créature riposta, blessant légèrement les deux corrompus avec ses longues griffes affûtées, le diamant pulsa de nouveau, essayant de capter l’attention de Jean, qui abaissa son bouclier. 

Le monstre agrippa Jean par les épaules et le souleva à quelques centimètres du sol. La mâchoire allait se refermer sur la tête du corrompu quand Tallion intervint. Il lança une fiole de feu grégeois aux pieds de la bête, l’enflammant immédiatement, ses tatouages irradièrent d’un éclat incandescent, alors que les flammes de sa main viraient au bleu et qu’il posait sa paume sur le flanc de la bête, la carbonisant de l’intérieur.

Le monstre lâcha immédiatement Jean et mugit de douleur, avant de s’effondrer au sol, agonisant. Les esprits disparurent aussi soudainement qu’ils étaient apparus et les corrompus se retrouvèrent, seuls et épuisés, pendant que la bête, au sol, respirait avec difficulté et était incapable du moindre mouvement, son diamant pulsait faiblement.

Jean et Tallion montèrent l’escalier pour explorer l’étage pendant que Léonin surveillait la bête. Les lieux étaient encore plus saccagés que le rez-de-chaussée, mais on sentait que la créature avait essayé d’y faire sa tanière. Au détour d’un couloir, quelque chose sauta sur Jean, qui frappa par réflexe d’un coup de masse. Il s’agissait d’un monstre similaire à celui qu’ils venaient d’affronter, mais beaucoup plus petit, de la taille d’un très gros chien, avec des membres humains déformés. Tallion reconnut avec horreur les traits de la princesse de Cronbourt sous les mutations terrifiantes qui défiguraient la bête. Avec une corde, ils l’attachèrent pour l’empêcher de les attaquer et continuèrent leur investigation. Ils trouvèrent une boîte ensorcelée, une sorte de refuge pouvant accueillir une personne et la protéger de l’extérieur. C’était très probablement le sortilège utilisé par l’escorte de la princesse pour la mettre à l’abri, mais apparemment, quelqu’un d’autre avait pris la place de l’héritière de Cronbourt. 

Les deux corrompus retrouvèrent Léonin avant d’activer l’anti-sort permettant d’éjecter la personne contenue dans la boîte. Un homme plutôt grand, corrompu tout comme eux, se retrouva à quatre pattes sur le sol. 

Les yeux du nouvel arrivant se posèrent ensuite sur le corps difforme de la princesse. 

Il essaya de se relever, mais la main ferme de Jean se posa sur son épaule et le maintint au sol.

Les trois corrompus échangèrent un regard, puis Jean saisit à deux mains Oderick et plaqua sa tête sur le sol, à quelques centimètres du diamant sur le front de la bête qui pulsait encore légèrement. Oderick le supplia d’arrêter et de le laisser partir pendant quelques secondes avant que ses yeux deviennent intégralement blancs et qu’il perde tout contrôle sur son corps. Les corrompus le laissèrent plusieurs minutes face au diamant et virent le corps d’Oderick changer sous leurs yeux. 

Ses membres s’allongèrent légèrement, ses ongles poussèrent, sa mâchoire s’élargit et des dents affutées en sortaient désormais. Sa chevelure se transforma en fourrure qui s’étendait un peu plus loin sur son corps. Et alors même qu’il subissait ces transformations, la princesse attachée non loin redevenait peu à peu humaine. Au bout d’un moment, elle éclata en sanglots: sa transformation semblait complètement annulée. 

Tallion fit un hochement de tête à Léonin, et la grande hache s’abattit une dernière fois sur la nuque de l’énorme bête, séparant la tête du reste du corps. Au même moment, Jean éclata avec sa masse le crâne du monstre qui fut autrefois Oderick. Un flash les aveugla tous, et ils se retrouvèrent dans un champ, non loin de la route où ils avaient aperçu pour la première fois la foire ambulante qui les avait menés ici. Il ne restait cependant aucune trace du passage de cette foire: ni chariot, ni marques au sol, ni restes de feux de camps. C’est comme si elle n’était jamais passée par ici.

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